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Des outils numériques pour rendre la science accessible aux citoyens

par Catherine HOUSSARD - post-doctorante à l’ESG-UQÀM

23-01-09

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Opérationnalisation du programme de recherche de la Boussole Durable pour favoriser la réduction de l’empreinte carbone de notre alimentation

Résumé : Ce stage réalisé pour l’organisme PolyCarbone consistait à rechercher des financements conjoints et développer des partenariats pour opérationnaliser le volet alimentation de la base de données d’inventaire du cycle de vie de la consommation québécoise développée en collaboration avec le CIRAIG. Il s’encadre dans le programme de la Boussole Durable, un programme de recherche-action qui vise à rendre accessible aux citoyens québécois les connaissances en analyse du cycle de vie pour mieux informer les prises de décision individuelles et favoriser ainsi la transition vers une consommation plus durable. Il a permis de concrétiser six nouveaux projets en partenariat avec des organismes engagés dans la transition alimentaire durable et l’action climatique.   

Description : 

Selon le dernier rapport du GIEC (2021), nous disposons d’une dizaine d’années pour réaliser une transformation drastique de la société qui permettra de maintenir la température en deçà du seuil de réchauffement de 1,5oC. Notre système alimentaire est à la fois un des principaux responsables et une des principales victimes des changements climatiques. Il est donc primordial de modifier rapidement nos modes de production et de consommation alimentaires afin d’assurer la durabilité du système (Rockström et al., 2020). Les citoyens sont cependant peu conscients que quelques changements dans leur alimentation pourraient réduire significativement leur empreinte carbone (Poore and Nemecek, 2018; Stylianou et al., 2021) et sont souvent mal informés sur les actions individuelles à privilégier pour agir efficacement contre les changements climatiques (Cléroux, 2022). 

L’analyse du cycle de vie est une méthode scientifique d’évaluation d’impacts environnementaux promue par le PNUE et normalisée (International Standard, 2006) qui permet de tenir compte des impacts environnementaux d’un système, d’un produit, d’un procédé ou d’un service sur l’ensemble de son cycle de vie. C’est un outil formidable d’aide à la décision pour éviter des déplacements d’impacts et pour identifier les priorités d’action. Cependant, les études d’analyse du cycle de vie (ACV) sont peu accessibles à la société civile. Elles nécessitent de nombreuses données spécifiques et leur réalisation requière du personnel hautement qualifié. C’est pourquoi, il s’avère indispensable et urgent de développer des outils automatisés accessibles aux citoyens pour démocratiser les connaissances en ACV et mieux informer les prises de décision individuelles en matière de consommation durable. 

Dans ce contexte, le CIRAIG en collaboration avec PolyCarbone a développé en 2020, le volet alimentation d’une base de données d’inventaire du cycle de vie (BD-ICV) de la consommation québécoise afin de rassembler les données nécessaires à l’évaluation de l’empreinte carbone de la consommation alimentaire dans un contexte québécois. De plus, PolyCarbone a développé des outils numériques (interface de programmation de calculs ACV (API-ACV) et plateforme utilisateurs) afin de calculer l’empreinte carbone de l’alimentation des québécois et de proposer des défis pour la réduire. L’API-ACV de PolyCarbone est également connectable à des interfaces web et applications numériques externes ce qui permet de proposer des défis variés à des publics cibles diversifiés. 

Ces outils numériques sont liés au programme de recherche de la Boussole Durable de la professeure Cécile Bulle avec qui j’ai réalisé un post-doctorat au CIRAIG en 2021.  Les objectifs de mon post-doctorat étaient d’opérationnaliser le volet alimentation de la BD-ICV de la consommation québécoise en rédigeant des demandes de subventions et en développant des partenariats avec des acteurs de terrain tels que PolyCarbone. Dans ce contexte, j’ai réalisé un stage LIEN-D de 6 semaines au sein de l’organisme PolyCarbone afin de coordonner l’arrimage du projet de la Boussole Durable avec les activités de PolyCarbone. 

PolyCarbone est un organisme sans but lucratif qui développe des solutions basées sur la science pour réduire les émissions de gaz à effet de serre au Québec en impulsant des nouvelles habitudes de vie au sein des communautés. Les objectifs de mon stage au sein de PolyCarbone étaient de : 

  • Participer à la planification stratégique sur 3 ans de PolyCarbone et d’évaluer le potentiel d’arrimage des activités de l’organisme avec la programmation scientifique de la Boussole durable. 
  • Identifier les enjeux de propriété intellectuelle et d’opérationnalisation reliés à l’arrimage de la BD-ICV de la consommation québécoise avec les outils numériques de PolyCarbone. 
  • Participer à la recherche de financement conjointe entre PolyCarbone et le CIRAIG (veille et montage de demandes de subvention).
  • Participer au développement de partenariats avec des acteurs de terrain externes afin d’assurer une large valorisation et divulgation des données de la BD-ICV de la consommation québécoise pour le volet alimentation à travers les outils numériques de PolyCarbone. 

Ce stage de 6 semaines étalé sur une période de 5 mois, a été prolifique en termes de réalisations. Au cours de ces 5 mois, 6 demandes de financement ont été déposées auprès d’organismes de fonds publics ou privés, permettant d’amasser un total de 192 000 $ pour l’opérationnalisation de la BD-ICV de la consommation québécoise. Au cours de cette période, 12 partenaires potentiels ont également été approchés aboutissant à 3 nouveaux partenariats conjoints entre PolyCarbone et le CIRAIG et à 3 contrats entre PolyCarbone et des partenaires engagés dans la transition alimentaire durable au Québec. Ces six projets sont : 

  • Le DéfiGEStes en collaboration avec les organismes Coop Fa, GRAME et Guèpe, qui vise la réduction des émissions de GES des 13-17 ans par la transition vers un régime alimentaire durable.
  • Le défi Zéro Gaspi de Florence Léa Siry (Chic frigo sans fric) et Guillaume Cantin (La Transformerie) afin de quantifier les émissions de GES évitées par la réduction du gaspillage alimentaire. 
  • Le défi collaboratif planétarien du collectif TAD, une initiative portée par des groupes universitaires pour favoriser la transition vers une alimentation durable. 
  • L’étiquetage de l’empreinte carbone des plats chauds servis à la cafétéria de Polytechnique Montréal par l’association des services alimentaires de Polytechnique (ASaP) 
  • Climat en Chef, une application de l’OBNL Emissions Reduction Now qui vise à aider les gens à se fixer des objectifs réalistes et ayant un impact pour une transition vers une alimentation faible en carbone (projet en cours de réalisation).
  • L’intégration dans la plateforme Pledge to Lead de l’université Concordia d’un volet spécifique pour mesurer l’empreinte carbone de son alimentation et proposer des actions pour la réduire (projet en cours de réalisation).

Des outils numériques pour disséminer les connaissances en ACV au sein des communautés et favoriser une action climatique individuelle plus efficace :

Illustration des outils numériques pour disséminer les connaissances en ACV au sein des communautés et favoriser une action climatique individuelle plus efficace

La concrétisation de ces six projets à travers des outils numériques adaptés à des publics cibles diversifiés a permis de valoriser très concrètement la recherche scientifique en ACV en offrant aux citoyens québécois la possibilité de :

  • Connaître l’empreinte carbone de leur alimentation de façon personnalisée selon leur profil (genre, âge, type de diète alimentaire et habitudes en matière de gaspillage) et leur contexte régional. 
  • Identifier des actions concrètes pour réduire l’empreinte carbone de leur alimentation, telles que substituer leur repas à base de viande rouge par de la viande blanche ou des protéines végétales.  
  • Calculer les émissions de GES évitées par les actions réalisées lors de défis afin de pouvoir quantifier l’impact significatif d’un changement de comportement individuel à l’échelle collective et inciter l’adoption d’habitudes alimentaires plus durables. 

Ces réalisations avec des partenaires diversifiées démontrent que la digitalisation des données et le développement des technologies numériques combinées aux activités d’accompagnement et de sensibilisation terrain sont des moyens efficaces pour disséminer rapidement les résultats de recherche au sein des communautés. À titre d’exemple, le défi GEStes réalisé en partenariat avec la COOP FA, le GRAME et Guèpe a permis de rejoindre 5000 Montréalais de 13 à 17 ans et d’éviter 1,5 tonnes de GES au cours de sa première édition en février 2022. L’arrimage des projets entre les acteurs de terrain et de recherche présente toutefois quelques défis. En effet, le volet alimentation de la BD-ICV de la consommation québécoise nécessiterait encore des développements scientifiques pour mieux répondre aux besoins du terrain mais la dynamique des projets de recherche fortement dépendante des financements obtenus rend difficile l’alignement de la recherche avec l’agenda temporel des acteurs de terrain.  

Alors qu’il est minuit moins une pour la planète, ce type d’initiatives et d’outils s’avèrent, selon moi, essentiels pour mieux informer les citoyens sur l’impact de leurs comportements et amorcer la transition vers une consommation plus durable. Les niveaux d’investissements financiers et de mécanismes gouvernementaux mis en œuvre pour favoriser leur développement rapide sur tous les volets de la consommation (alimentation, transport quotidien, voyages, habillement, biens de consommation courante, déchets, etc.) et leur propagation à grande échelle, pourraient bien être en partie garant et de la trajectoire que nous prenons en tant que société pour l’atteinte des cibles en matière de réduction d’émissions de GES. 

Mots clés :  outils numériques, empreinte carbone, alimentation durable, Boussole Durable

Références : 

Cléroux, A., 2022. Recycler ne suffit pas. Protégez-vous. https://www.protegez-vous.ca/maison/consommation-durable

International Standard, 2006. INTERNATIONAL STANDARD assessment — Principles and framework (ISO 14044) 2006, 5.

Poore, J., Nemecek, T., 2018. Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers. Science (80-. ). 360, 987–992. https://doi.org/10.1126/science.aaq0216

Rockström, J., Edenhofer, O., Gaertner, J., DeClerck, F., 2020. Planet-proofing the global food system. Nat. Food 1, 3–5. https://doi.org/10.1038/s43016-019-0010-4

Stylianou, K.S., Iii, V.L.F., Jolliet, O., 2021. Small targeted dietary changes can yield substantial gains for human health and the environment. Nat. Food 2, 616–627. https://doi.org/https://doi.org/10.1038/s43016-021-00343-4

Headshot of Catherine Houssard

Catherine Houssard est actuellement agente de recherche au CIRAIG, le Centre International de Référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services. Elle s’intéresse aux outils basés sur l’analyse du cycle de vie pour faciliter les prises de décisions en faveur de la durabilité dans la société civile. Elle se spécialise en particulier dans les outils pour la transition vers des systèmes agro-alimentaires durables. 

Elle a réalisé un post-doctorat de 6 mois à temps partiel dans le cadre du programme LIEN-D du CRSNG, pour opérationnaliser le volet alimentation de la base de données d’inventaire du cycle de vie de la consommation québécoise développée par le CIRAIG et PolyCarbone. Elle a réalisé son doctorat en génie industriel à Polytechnique Montréal. Sa thèse portait sur les outils d’éco-efficience pour la mesure de la durabilité dans l’industrie laitière. Elle est également titulaire d’un diplôme de second cycle de l’ESG-UQÀM en responsabilité sociale des organisations et possède un baccalauréat en génie alimentaire de l’Institut Agro Dijon (France). Passionnée par la vulgarisation scientifique, elle intervient dans les médias et donne des conférences en alimentation durable. Elle est aussi membre experte en empreinte écologique du Conseil SAM (Système Alimentaire Montréalais) et du projet défi alimentaire de Chemins de transition porté par l’Université de Montréal.